Cet exposé d’Atefeh Sadeghi pour la conférence du 14 janvier 2015, dans le cadre de l’exposition du MIR Suisse à Lausanne, n’a pas pu être présenté de vive voix, car Mme Sadeghi n’avait pas obtenu son visa Schengen dans les délais. Nous sommes heureux de le présenter sur ces pages. La version en anglais est disponible sur demande.
„In the entire world there is no one else exactly like me
Everything that comes out of me is authentically mine
I own everything about me-my body, my feelings, my mouth, my voice
All my actions, whether they be to others or to myself. I own my fantasies, my dreams, my hopes, my fears
I own all my triumphs and successes, all my failures and mistakes.
Because I own all of me, I can become intimately acquainted with me.
By so doing, I can love me and be friendly with me in all my parts.
I know there are aspects about myself that puzzle me, and other aspects that I do not know.
But as long as am friendly and loving to myself, I can encourage me
And hopefully look for solutions to the puzzles and for ways to find out more about me.
However I look and sound, whatever I say and do and whatever I think and feel at a given moment in time is authentically me.
Later, if some parts of how I looked, sounded, thought, and felt run out to be unfitting, I can discard that which is unfitting, keep the rest
And invent something new for that which is discarded.
I can see, hear, feel, think, say, and do.
I have the tools to survive, to be close to others, to be
Productive, and to make sense and order out of the world of people
And things outside of me
I own me and therefore, I can engineer me.
I am me and I am ok.” – (Satir)
Mesdames et messieurs!
C’est un honneur pour moi d’être ici avec vous et de vous parler de mes points de vue sur la paix, une notion qui ressemble à un rêve dans un monde imparfait.
Je viens d’Iran et suis une femme. Peut-être trouverez-vous cela bizarre, mais je trouve que c’est un privilège. Oui, je suis privilégiée d’être née en Iran en tant que femme. Avec quelques restrictions, tout de même. Pour donner un exemple: la loi oblige les femmes en République Islamique d’Iran à se couvrir la tête et à se vêtir selon le Code Islamique, c’est-à-dire en couvrant leur corps à l’exception du visage et des mains. J’y reviendrai pour préciser ce que j’entends par le privilège d’être une femme iranienne.
La paix n’a jamais été ce grand rêve pour toute l’humanité, comme elle l’est aujourd’hui. La construction de la paix, c’est ce que Gandhi a vécu. C’est bien plus qu’une méthode et une technique, c’est un mode de vie. Ce que nous devons nous rappeler, jour après jour, c’est que si nous voulons une communauté pacifique, nous devons y contribuer. Nous ne pouvons pas rêver de paix et attendre qu’elle nous tombe dessus. Nous devons revêtir une attitude nonviolente aussi longtemps et aussi loin que possible pour qu’elle devienne notre habit transparent, à travers lequel tout le monde peut reconnaître un être humain qui, même brisé par la violence, reste un puzzle fait de multiples pièces de paix, et non de pièces de violence à cause du ressentiment dû au bris du puzzle.
Les pièces de ce puzzle peuvent être remises ensemble et la personne peut devenir plus forte, vivant pleinement la nonviolence et la paix. Ce puzzle représente en premier lieu l’individu, puis chaque communauté, enfin à plus grande échelle, l’humanité entière. C’est alors nous serons certains qu’un acte violent qui nous vise ne fera que multiplier nos réponses pacifiques.
Certains érudits ont prétendu que la paix est un contrat naturel chez tous les êtres humains. Je ne le pense pas. Les contrats naturels chez les êtres humains sont la faim, le pouvoir, les désirs, etc. C’est pour cette raison que la paix doit être construite au niveau de l’individu, de la même manière que la violence part de l’individu lorsqu’il cherche à répondre aux exigences de ces contrats naturels. En effet, la cupidité, la recherche du profit, l’arrogance sont des comportements normaux de l’être humain, et s’ils ne sont pas satisfaits, la violence survient – dans la plupart des cas. C’est très simple et nous en trouvons des exemples innombrables dans notre vie de tous les jours. Par exemple dans les interactions d’une personne à une autre, dans celles d’une personne à une communauté, où nous ravalons nos ressentiments sans pouvoir ni les exprimer, ni les gérer, ni les résoudre. Et lorsque nous croyons qu’il ne faut pas blesser autrui émotionnellement ou physiquement, nous enfermons l’amertume au-dedans de nous : n’avons ni la volonté, ni intérêt à l’articuler. Une telle décision peut paraître forte et belle, mais en réalité une telle attitude pacifique n’est que de façade et masque la violence qu’on retourne contre soi. Tôt ou tard la personne qui n’est pas pacifique envers elle-même deviendra de plus en plus intolérante, dure et violente. Les études psychologiques le montrent, je ne vais pas approfondir cet aspect. Mais je tiens à souligner que la paix c’est vous! Et si vous n’êtes pas la paix, vous ne pouvez pas attendre la paix de l’extérieur.
Comme nous sommes nombreux, la paix, elle non plus, n’est pas une. Elle n’est pas homogène et ne peut pas être universelle. Elle est plurielle et la pluralité vient de toutes les différences que nous vivons en société. Les paix forment une voie, une compréhension et un respect de l’autre, ce qui nous permet de partager nos opinions et de construire ensemble des structures pacifiques pour nos communautés. Les nombreuses paix dont parle le professeur Dietrich, en Autriche, sont une notion qui comprend les diverses interprétations de la paix dans diverses cultures et formulées dans différentes langues. Lorsque ces nombreuses paix ont été acceptées le processus de transformation du conflit peut commencer. C’est en mettant ensemble les différentes et nombreuses versions de la signification de la paix au quotidien, plutôt que d’en imaginer l’utopie et l’avènement, que nous pourrions obtenir une compréhension de la paix au-delà du rationnel. Une voie trans-rationnelle qui, selon le professeur Dietrich, fait la distinction entre les paix énergétique, morale, moderne et post-moderne. Il les rassemble pour construire un monde harmonieux où la façon d’aborder les problèmes, respectueuse des différences culturelles, saura mettre en route les processus de transformation des conflits.
Nous ne pouvons pas construire la paix simplement en partant de notre propre version et en imposant une méthode valable dans toutes des situations. Nous devons l’adapter au contexte et à la culture en question, nous devons produire et reproduire des notions, des facettes que nous pouvons assembler en transformant la société. Mais, n’oublions pas que tout ceci ne peut et ne devrait venir que de la société elle-même.
La recherche de la paix est devenue un des objectifs principaux de notre ère. Nous ne sommes plus aux temps anciens de l’existence humaine où la survie primait et la victoire était célébrée. Pendant des décennies les sociétés se sont déchirées dans des guerres. La guerre ne signifie certes pas absence de guerre. Le conflit fait partie de l’histoire humaine, mais les progrès des armements au cours des siècles passés ont occasionné une violence extrême prise dans un cercle vicieux. Les tueries et la violence ont imposé des réponses variées: il y a les institutions qui, ensemble, cherchent à comprendre les cas et à structurer les moyens de prévention de la violence; il y a aussi les politiques gouvernementales face aux problèmes de violence.
En pourtant, en dépit de tous ces efforts nous sommes confrontés à des attaques violentes sans connaître la manière de les transformer. Lorsqu’une guerre se termine, dont le début n’était aucunement justifié, elle laisse des traumatismes chez tous les belligérants. Je citerai à titre d’exemple la guerre des États-Unis en Iraq qui a bénéficié d’un grand soutien de la part de l’Europe. Une guerre qui a laissé dans son sillage d’innombrables vies perdues, mais surtout d’innombrables âmes perdues.
Des personnes toujours vivantes, mais qui ont été tellement démolies qu’elles ne peuvent plus mener une vie normale. Ceci inclut les soldats américains qui ont combattu. Les traumatismes dont ils souffrent provoquent la haine et la haine provoque le conflit avec des tiers ou avec soi-même, comme ces nombreux soldats américains qui se sont suicidés après leur retour de la guerre. On considère qu’une guerre est terminée et qu’une paix négative s’installe, mais on méconnaît qu’une nouvelle guerre se poursuit parmi les victimes et leurs familles. Cela exige une éducation adéquate, utile, pacifique et protectrice à grande échelle, qui au fil du temps saura construire une paix positive. Cette paix sera susceptible de rétablir les relations dans les sociétés déchirées par le conflit et créer des cohésions sociales capables de procurer aux populations une transformation concrète du conflit. Une transformation qui dévoilerait les conflits et à partir de là permettrait une reconstruction pacifique de la société. Pour atteindre cela une interaction nonviolente entre les personnes est indispensable. Ce qu’il faut, en outre, c’est un système global et inclusif qui permette à chacun de contribuer de manière équitable, de servir et d’être servi dans l’atteinte de ses intérêts légitimes. Ceci, répétons-le, ne peut pas venir d’experts externes mais plutôt des personnes qui s’engagent et se battent au sein de leur société.
Nous devons poser les problèmes en fonction de situations réelles au lieu de prescrire une solution au problème. C’est ce biais qui encourage la réflexion. Les personnes sont alors capables de faire confiance à leurs propres capacités, de créer un changement en discernant les défis dans des situations réelles et d’y répondre de manière appropriée en fonction du contexte. Nous devons comprendre comment les conflits débutent et évoluent. Et en essayant de comprendre nous devrions soigneusement identifier les facteurs susceptibles de mener à une transformation du conflit et, mieux, de terminer le conflit. Je plaide ici pour la transformation parce qu’elle décrit bien ce qui se passe dans une situation de conflit. La transformation signifie la construction harmonieuse de la paix en employant une méthode descriptive de la manière d’aborder le conflit au lieu de recourir à la méthode prescriptive qui consiste à contrôler le conflit dans le but de le résoudre.
Nous autres humains sommes des conteurs de nos propres vies. Nous regardons souvent les choses telles qu’elles se présentent et nous ratons l’occasion de faire un pas de côté pour observer soigneusement ce qui se déroule autour. Dès lors, nos critiques visent une version vague et incomplète de notre propre observation, qui d’ailleurs est manipulée par les médias qui nous submergent. Et savez-vous ce qui arrive lorsqu’on raconte une histoire observée en pleine situation dramatique? Dans une situation de la vie de tous les jours, cela mène à des suppositions qui d’emblée créent des conflits à partir de tensions mal interprétées. Les interactions humaines et les réalités sociales sont souvent négligées lors d’observations instantanées, de même les interactions des cultures dans le monde moderne et à l’époque de la mondialisation, ce qui ne fait que compliquer les choses. Les personnes viennent de divers contextes culturels, y compris dans leur propre pays; il se crée une interface où les perceptions s’affrontent aux expressions et les intentions s’affrontent aux interprétations. Je m’explique: lorsque ma perception des actions de quelqu’un s’affronte à son expression – pourquoi a-t-il fait telle action? – j’ai tendance, comme tout être humain, à être prise dans le cercle conflictuel en essayant de me justifier, au moment où l’autre personne essaie de faire la même chose. Pourquoi ceci est-il un cercle conflictuel? Parce que nos visions sont brouillées du seul fait que nous voulons prouver quelque chose et que nous voulons défendre notre point de vue au lieu de trouver une compréhension commune dans un processus interactif. Bien qu’il puisse y avoir des efforts pour se mettre d’accord, dans de telles situations il n’existe pas de solides racines pour créer un espace de compréhension par-delà les cultures, pour construire une perspective plus large, pour appréhender ce qui est nouveau et reconstruire les interactions.
Permettez-moi à présent de partager quelques histoires avec vous. La première fois que je suis venue en Suisse, vers la fin de l’année 2003 – c’était en fait mon premier voyage en Europe. Comme je viens d’une famille plutôt pratiquante et quelque peu traditionnelle qui a rencontrée quelques occidentaux, mes parents ont fait de leur mieux pour me préparer à mon voyage et diminuer les éventuels dommages dus au choc culturel. Ils m’ont parlé de la culture européenne et de ce que je rencontrerais ici. Malgré toutes ces précautions j’ai subi un grand choc lorsque je me suis promenée dans Genève, en touriste enthousiaste. Le choc culturel a suscité un conflit en moi et j’aurais voulu dire aux gens que leurs actions me choquaient, qu’elles étaient incorrectes! Si je n’avais pas été aussi timide à l’époque et si je n’avais pas été prévenue par mes parents, j’aurais pu créer des conflits simplement en abordant les gens pour leur dire d’arrêter ce que je considérais comme incorrect. Bien que je ne me sois jamais vêtue comme l’exige la loi iranienne/islamique, je ne pouvais pas «approuver» la manière dont les femmes européennes se présentaient ni leur contact physique proche avec les hommes à leurs côtés. J’avais intégré les leçons reçues par les médias et dans les écoles en Iran qui m’avaient enseigné ce qui est correct et ce qui ne l’est pas. Les politiques de mon pays quant aux genres (masculin et féminin) m’ont alors sauté aux yeux, et pourtant bien avant mon voyage j’avais remarqué avec amertume les différences sociales entre les hommes et les femmes en Iran. Imaginez, à présent, les possibilités de voyages comparées au passé et la rencontre frontale des contradictions que provoquent ces voyages. Les voyageurs, les jeunes voyageurs en particulier, qui veulent voir d’autres mondes mais ne sont pas préparés à ce qui peut les choquer. Ils n’ont peut-être personne qui les prévienne ou leur conseille de garder fermement leurs convictions ou de se battre pour leurs convictions quoiqu’il arrive. Une fois sur la route, ils seront déboussolés, ils s’affrontent à des différences qui peuvent ébranler leur identité et mettre en question leurs convictions. On ne les a pas préparés à ouvrir leur esprit pour choisir, décider, regarder de l’autre côté avec un regard autre que le leur. Au début cette confusion secoue leur paix individuelle, puis elle se plaque sur ce qui les entoure, les personnes autour d’eux. Voici un des problèmes majeurs qui ne sont pas abordés correctement, l’objet d’une éducation juste, véritable et équitable.
Je pense que nous sommes tous d’accord de l’importance de l’éducation lorsqu’il y a un potentiel de conflit. Si nous n’avons pas l’éducation adéquate pour ce genre de situation, l’entourage potentiellement conflictuel va être à l’origine de modèles de communication spécifiques et, à la suite, les relations vont se figer, le positionnement social des parties en présence va avoir lieu. L’éducation est non seulement nécessaire pour aborder une situation potentiellement conflictuelle, mais aussi dans une situation où le conflit est déjà installé. Le manque d’éducation, laquelle permettrait une compréhension juste et non hypocrite de différentes situations, voilà ce qui cause des incidents tragiques comme le meurtre injustifiable des 12 journalistes à Paris. Ce n’est pas le premier incident de ce genre et je crains que dans un avenir proche de tels incidents ne soient pas près de cesser tant que les réactions sont extrêmes chaque fois qu’une telle horreur a lieu. Une des réactions est l’augmentation de l’islamophobie en Occident, encouragée par les médias et même les gouvernements par la manière dont ils se positionnent lors de ce conflit. Cette réaction ne promeut ni la nonviolence ni la paix, mais au contraire suscite plus de violence comme nous l’avons vu après l’attaque terroriste, qui est complètement condamnée.
J’aimerais partager une autre histoire. J’avais 12 ans. Nos voisins étaient des amis et ils avaient une fille, plus jeune que moi de deux ans. La femme de son frère venait d’arriver chez eux pour se plaindre de son mari qui l’avait battue. J’ai entendu la mère de mon amie dire à sa bru : «Tais-toi et tu ne seras pas battue!» J’étais choquée. J’ai demandé à mon amie ce qui se passait, elle a haussé les épaules en disant que ça se passait toujours comme ça. Alors que c’était un choc pour moi, c’était «normal» pour mon amie de 10 ans. J’étais donc chanceuse de n’avoir jamais vu une telle violence autour de moi, sinon ça aurait été normal pour moi aussi. Qu’est-ce qui fait que la violence devient normale? La répétition est certainement une raison. Une autre raison est d’en méconnaître les racines et de la justifier pour une raison ou une autre. Il n’existe pas d’excuse pour une action violente et je me rends compte que je ne peux pas dire «ne dessinez pas et vous ne serez pas tués» dans le cas de Charlie Hebdo, par exemple. Ce que je peux dire, en revanche, c’est «regardons ses racines profondes et cherchons pour de bon pourquoi c’est arrivé», et je peux ajouter «protégeons notre peuple, note liberté et notre existence avec une attitude harmonieuse et juste à l’égard de tous les cas de violence, au lieu de grossir l’un et d’atténuer l’autre». La violence est la violence et tant que nous serons sélectifs, précisant quelle violence est la pire, tant que les violences que nous ne trouvons pas trop graves ou trop grandes – probablement parce qu’elles ne nous atteignent pas directement ou ne sont pas perpétrées près de chez nous -, deviennent normales à nos yeux, et alors que nous ne faisons pas attention elles grossissent jusqu’à ce qu’une tragédie ait lieu.
Vous avez sans doute entendu beaucoup de choses sur nous autres Iraniens, mais je suppose que ce que vous avez entendu concerne surtout le problème nucléaire et aussi l’oppression extrême des femmes. Je suis ici pour vous dire la vérité. Oui, nous sommes opprimées, mais ce n’est pas de la manière dont vos médias le montrent. Il faut que j’aborde cela parce que la manière dont les médias occidentaux montrent les femmes d’Iran rabaisse au fond leurs efforts pour l’indépendance, la justice, l’égalité des droits et leur fierté d’être des femmes face à ce défi. Vous avez peut-être entendu parler – ou peut-être non – d’un mouvement de réseau social appelé Ma Liberté Secrète. Une journaliste iranienne réputée, en exil, l’a lancé en demandant aux femmes iraniennes de ne plus porter leur foulard dans l’espace public et d’envoyer une photo sur la page facebook concernée. Ce mouvement s’est propagé très rapidement et, puisque les médias occidentaux l’ont couvert, a reçu beaucoup d’attention. Permettez-moi de vous donner ma position : est-ce qu’au cours d’un processus de changement, auquel nous croyons avoir droit, nous avons le droit d’enfreindre les lois? Avons-nous le droit de mettre la sécurité d’autrui en danger? Dans un pays où se découvrir est illégal, un tel appel n’est-il pas une violation? Comment peut-il prévenir le conflit? Ce qui est arrivé depuis cet appel c’est une surveillance plus stricte par la police des mœurs en Iran. Alors que les médias occidentaux étaient occupés à relayer l’information d’une liberté secrète et à l’applaudir, les autorités iraniennes ont serré la vis à l’égard des femmes. Certes, c’est leur droit de souhaiter de ne pas se couvrir mais il s’ensuit un conflit social dès lors qu’elles agissent de cette manière. En revanche, ce qui pourrait être plus efficace c’est de conscientiser les femmes sur leur droit à choisir la façon de se vêtir sans enfreindre la loi, en les rassemblant pour qu’ensemble elles articulent leur souhaits et fassent pression sur les politiciens pour qu’ils changent les lois en leur faveur.
Dans d’autres domaines, cependant, les femmes iraniennes ont développé leur résistance aux comportements patriarcaux qui violent leurs droits. Dans un système qui promeut la soumission des femmes aux hommes en tant que supérieurs à elles, en tant que nourriciers de la famille, protecteurs des femmes, les femmes en Iran ont affirmé leur force en cherchant l’éducation, en participant aux décisions politiques, en devenant des militantes engagées, en trouvant des voies pour occuper des positions élevées et en créant des professions indépendantes. Elles ont parfaitement compris qu’en restant financièrement dépendantes des hommes elles leur seraient soumises et que cela entraînerait inévitablement une violation de leurs droits. Aujourd’hui en Iran 60% des étudiants à l’université sont des femmes et il est surprenant de constater à quel point les femmes, au cours de ces toutes dernières années, ont su lancer des boulots/entreprises indépendants, même modestes. Cela leur a donné confiance en elles-mêmes et aussi la force de faire face aux normes patriarcales et au système injuste qui les considère toujours comme des citoyens de deuxième zone dès qu’il s’agit d’emploi ou de certaines lois les concernant. Un des exemples actuels concerne la manière dont les femmes en Iran prennent en main leurs relations, s’opposant ainsi au mariage obligatoire ou à l’interdiction de toute relation en-dehors du mariage. Elles font cela dans le cadre d’un mouvement social nonviolent. Dans le cours de ce processus elles ont appris à gérer le conflit provoqué par une telle transformation dans leurs vies puisqu’elles affrontent les attentes des hommes à leur égard. En gérant ce conflit, elles préviennent le potentiel de violence avant que celle-ci n’éclate. Un exemple d’une telle action concerne la manière dont les femmes sortent de leur relation/mariage si elles la/le considèrent comme violent/e ou malsain/e. Ce n’est plus comme il y a 10 ans lorsque les femmes étaient encore largement dépendantes des hommes ou lorsque, craintives, elles respectaient les normes sociales qu’elles auraient enfreintes en quittant leur partenaire. Aujourd’hui elles sont fortes, indépendantes et se construisent elles-mêmes. Aujourd’hui elles construisent leur entourage de manière pacifique, au plus près de leurs intérêts, se mesurant avec les structures sociales injustes. Elles ont su faire cela en comprenant l’importance d’être elles-mêmes et en ne permettant pas que ce besoin, pour être atteint, les entraîne sur une voie cupide et violente.
J’aimerais revenir sur ma déclaration au début de cet exposé. J’ai le privilège d’être une femme iranienne parce qu’en Iran la loi ne me soutient pas en tant que femme et que dans les moments de conflit je peux me sentir piégée sans aucune chance de survie. C’est pour cela que j’ai dû apprendre ma manière à moi de prévenir les conflits et de transformer les conflits. Ceci ne signifie pas que je cède lorsque mes droits sont violés, mais qu’au contraire je crée mes propres outils et, grâce à eux, ma propre paix. Alors que dans des pays comme le vôtre, lorsque dans un conflit une femme est elle aussi impliquée, la loi est d’un grand soutien pour les deux (n.d.t.: hommes et femmes), aucun système social ne se construit naturellement pour prévenir le conflit et chacun se repose sur la loi pour résoudre le conflit. Ainsi, la prévention et la transformation du conflit n’évoluent pas et cette absence d’évolution est à l’origine de plus de conflits.
La participation des deux genres (masculin et féminin) dans la paix et dans la violence devrait également être prise au sérieux, tout comme les deux devraient également être impliqués dans les processus sociétaux qui promeuvent la justice et créent la paix. Je suis convaincue que l’engagement des femmes dans de tels processus encouragera les hommes à s’engager davantage dans la recherche de solutions pacifiques, puisque partout dans le monde, soyons honnêtes, les hommes se sentent toujours supérieurs, même si devant la loi hommes et femmes sont égaux.
Traduction : Dorothée Reutenauer