Après une lecture de l’évangile de Matthieu, chapitre 5, les versets 38 à 48.
1. La parabole de la pluie. La pluie n’évite personne.
Il suffit de regarder attentivement la pluie tomber pour constater qu’aucune goutte ne dévie de sa trajectoire. Aucune n’évite certaines têtes pour en privilégier d’autres. Excusez l’évidence ! Même le vent n’a pas le moindre effet sur ce phénomène dû à la gravité. Chaque goutte suit une ligne parallèle à celle de sa voisine. Chaque humain et chaque chose sont donc arrosés strictement de la même manière.
Ainsi de la justice et de l’amour de Dieu. Aucun écart. Pas la moindre exclusion.
Perfection de la justice divine. Perfection de l’amour de Dieu qui « arrose » tout être qui vit. Nous sommes tous « mouillés » par l’amour de Dieu. Dit en langage de piété: nous sommes tous les enfants de Dieu, les fils et filles du même Père.
Et c’est bien, je crois, la perfection dont il s’agit au verset 48.
Notre regard change.
Par cette parabole, c’est en fait notre regard qui est changé. Nous sommes appelés, quelles que soient les circonstances, à regarder l’autre comme autant aimé de Dieu que soi-même. L’autre quel qu’il soit et quoi qu’il fasse. Un autre soi-même. Jamais rien ne justifiera la moindre exception, la plus petite exclusion de cette réalité spirituelle. A l’image de la pluie.
Regard d’humanité.
En fait, cette minuscule parabole éduque notre regard; une éducation à l’humanité. Car cette image, que tout enfant comprend sans peine, pose bien un problème d’éducation. Nous ne pratiquons pas la politesse la plus élémentaire sans l’apprendre de nos parents. Ce regard, notre regard, qui met ses pas dans le regard du Père: il s’apprend tout autant. Nécessaire éducation, nécessaire formation intérieure.
Et tout particulièrement quand l’autre est détestable ou haïssable; ou simplement désagréable. Quand la colère monte, quand la violence fait son chemin à l’intérieur de soi-même pour sortir tôt ou tard d’une manière ou d’une autre : rester inébranlables dans l’image de la pluie qui tombe, c’est bien le résultat d’une patiente éducation du cœur.
2. La gifle rendue ou la joue tendue.
La gifle sort, aussi violente que surprenante. Alors ne pas riposter (plutôt que « ne pas résister ») et tendre l’autre joue.
Pour les uns, c’est une image ou une manière de parler. Autant dire qu’elle n’est pas à pratiquer. Dommage. Car la pratique nous fait découvrir l’action qui est en jeu et à laquelle tout notre corps participe. Ce geste de tendre l’autre joue n’a aucun rapport avec une quelconque faiblesse et ne veut pas nous conduire à choisir une position de repli ou de renoncement. Dans ce cas, il vaudrait mieux ne rien faire, protester ou fuir.
Un corps livré au cercle de la violence.
Au lieu de nous conduire à un acte agressif entièrement dicté par notre adversaire qui nous l’impose, la joue tendue est un acte libre et offensif. Qui nous offre de nous rendre maître de la situation de violence. A commencer en créant la surprise, tellement ce geste est inhabituel.
Si je rends la gifle, mon corps se met instinctivement en position d’attaque. Le bras répond au quart de tour; les muscles tendus lancent le revers de la main à la hauteur de la joue de l’adversaire pour la frapper violemment.
Si tout s’arrêtait là, comme « oeil pour oeil, dent pour dent », gifle pour gifle, la violence serait stoppée et l’élémentaire justice rendue. Le problème est que tout peut continuer. Car la gifle rendue ouvre le cercle de la violence. Et nous passons sans peine de cette règle de réciprocité – gifle pour gifle – à la règle du plus fort. Nous finissons par céder à la loi inhumaine de la jungle. Loi sans pitié, où les animaux y sont plus sages que les humains.
Un corps libre et prêt pour la réconciliation.
Dans l’acte de tendre l’autre joue, le corps agit d’une toute autre manière. Il se met bien en position d’attaque. Mais il ne vise donc plus la joue de l’autre. Tout le corps se tend pour maîtriser sa propre violence intérieure, pour rester bien planter sur le sol et toujours faire face, alors que la peur lui dicterait de fuir. Puis il tourne la tête pour offrir l’autre joue et inviter sans moquerie à une deuxième frappe.
Ce n’est plus ma violence incontrôlée, dictée par l’adversaire, qui conduit mes actes selon mes possibilités physiques et mon habileté à esquisser les coups de mon adversaire. Mais ma volonté farouche de protester en mettant en évidence l’injustice que mon adversaire vient de commettre en me frappant. Mon corps tout entier, maîtrisé par moi-même et non par mon adversaire, ne vise plus la joue de l’autre mais sa conscience, son sens de la justice. Ma joue tendue lui demande des comptes. En vue d’un règlement pacifique et d’une réconciliation.
3. La nonviolence a une histoire.
Une histoire ignorée.
Il y a une histoire de la nonviolence qu’on ignore et que Gandhi a remise sur le tapis de l’histoire au milieu du XXe siècle. Les premières communautés chrétiennes semblent bien avoir pratiqué la nonviolence, au point d’interdire le métier de soldat.
Mais cette exigence est devenue la pratique d’une minorité lorsque l’empereur romain Constantin, au IVe siècle, a joué un mauvais tour à la chrétienté en l’associant étroitement au pouvoir civil. Dans les siècles qui ont suivi – et jusqu’à nos jours – cette alliance avec le pouvoir a conduit toutes les Eglises officielles à pratiquer les pires violences. Au point de contredire le message évangélique de nonviolence. Ou d’en faire un idéal, réservé à ceux qui tombent dans l’angélisme.
Les Eglises reconnaissent leur oubli.
Au cours des siècles toutefois, des petites communautés chrétiennes ont maintenu ce refus de la violence meurtrière. Les communautés quakers et mennonites en sont encore les témoins aujourd’hui, au moment où l’ensemble des Eglises chrétiennes reconnaissent peu à peu les erreurs du passé et les impasses dans lesquelles la violence les a conduites.
C’est sans doute la raison pour laquelle nos Eglises se sont ralliées à la décennie pour vaincre la violence lancée par les Nations Unies en 2001. Conclue par une rencontre œcuménique internationale à Kingston (Jamaïque) en mai 2011, cette décennie doit évidemment se prolonger de mille et une manières dans nos communautés.
4. La nonviolence est une mise en œuvre.
La nonviolence a ses héros.
De tout temps, la nonviolence a été pratiquée comme réponse constructive aux conflits de toutes sortes. Mais ses batailles pacifiques et ses victoires historiques n’ont que très rarement fait la Une des journaux et le contenu d’articles dans les livres d’histoire.
La nonviolence a pourtant ses héros, dont plusieurs ont été reconnus par des prix Nobel de la Paix. Le XXe siècle en est riche: Martin Luther King, Albert Luthuli, Lanza del Vasto, etc. Sans parler de ceux qui ont résister aux régimes les plus barbares : Martin Niemöller et Dietrich Bonhoeffer… Plusieurs Suisses font partie de cette histoire: Pierre Cérésole, fondateur du Service Civil International, Leonard Ragaz, Willy Kobe, Michel Grenier…
Partout et par tous.
Aucun domaine de la vie humaine n’échappe à la nécessité de mettre en oeuvre la nonviolence comme réponse adéquate à la violence quotidienne et universelle. Elle fait partie de cet apprentissage de la maîtrise de soi. Elle est à la portée de chaque personne humaine. Elle s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux vieillards. Elle concerne aussi bien la vie de couple que les relations professionnelles. Aussi bien la vie sociale que la vie politique, la vie d’un peuple que la vie internationale.
S’il y a bien une théorie de la nonviolence, elle est avant tout une pratique constante du respect de soi et de l’autre – quel que soit cet autre et quoi qu’il fasse – un exercice quotidien d’une relation humaine pacifiée. Au XXIe siècle, elle est plus actuelle et plus urgente que jamais.
Références et liens
Aujourd’hui nous disposons d’une abondante littérature sur le sujet.
Des Centres de documentation et de formation sont à disposition pour fournir dossiers, livres et cours:
– CENAC Centre pour l’action non-violente (Centre Martin-Luther-King) à Lausanne – www.non-violence.ch)
– CIDOC centre œcuménique de documentation chrétienne à Lausanne (Bd de Grancy 29) – www.cidoc.ch
– Village de la Paix à Broc (bilingue) – www.friedensdorf.ch.
– Le site du MIR suisse donne régulièrement des informations romandes – www.ifor-mir.ch
– Le site du M.A.N. (Mouvement pour une alternative non-violente) en France est un site de référence : www.nonviolence.fr
Georges Kobi, pasteur / email