Prédication sur la parabole de la pluie
Evangile de Matthieu, chapitre 5, verset 45
Je vous propose ici un texte relativement connu, puisqu’il s’agit d’un extrait du Sermon sur la montagne dans l’évangile de Matthieu. Ce passage célèbre illustre une particularité fondamentale de la religion chrétienne ; ou je devrais plutôt dire du message évangélique tel que nos quatre évangiles nous l’ont transmis, chacun à leur manière.
La bonne nouvelle, annoncée par la vie et l’oeuvre du Christ, sa mort en croix et sa crucifixion, a fait que la religion chrétienne est essentiellement une religion de relation : qui nous mets fondamentalement en relation avec les autres. Avec Dieu sans doute ! Mais tout autant avec autrui, quel qu’il soit. Le christianisme, lorsqu’il se montre à la hauteur du message qu’il a reçu par la Bible, est une religion avec l’autre ; elle cultive le lien avec autrui.
Mais comment cela, me direz-vous ? Eh bien je vous propose ce matin de prendre du temps pour examiner une minuscule parabole aux effets sur notre foi étonnants.
Lecture de Matthieu chapitre 5, verset 45
Parabole de la pluie. Minuscule parabole : la moitié d’un verset, dix mots au plus. Tellement petite qu’on l’oublie, qu’on passe dessus comme chat sur braise sans y prêter l’attention qu’elle mérite. Evidemment, les déclarations qui la précédent et celle qui la suivent sont tellement énormes, mobilisent à ce point notre attention : « tendez l’autre joue », « aimez vos ennemis »… tellement énormes, ces affirmations… que cette image passe inaperçue.
La parabole est une comparaison tirée de la vie quotidienne qui ouvre à une vérité profonde. C’est le principe sur lequel est bâti la parabole évangélique. Or, je crois que cette minuscule image de la pluie joue un rôle déterminant dans le message que Jésus annonce ici, transmis par l’évangéliste Matthieu. Elle est au coeur de notre conversion à l’évangile.
Quand vous sortirez de chez vous, s’il pleut : arrêtez-vous. Et regardez les gouttes de pluie tomber. Et s’il ne pleut pas du tout, remettez cette observation à la prochaine occasion.
Regardez : non seulement ces gouttes tombent toutes parallèles à leurs voisines. Que nous sachions aujourd’hui que c’est un simple effet de loi de la gravité ne change strictement rien à la conclusion de l’observation : aucune goutte, en tombant, ne dévie de sa trajectoire. Je veux dire qu’aucune n’évite certaines têtes, certaines personnes, pour en privilégier d’autres. Excusez l’évidence ! C’est enfantin, c’est vrai.
Même le vent n’a pas le moindre effet sur ce phénomène naturel. En tombant du ciel sur le sol, chaque gouttte suit une trajectoire exactement parallèle à cette de sa voisine. Sous la pluie, lorsqu’elle tombe, chaque humain et chaque chose sont donc arrosés strictement de la même manière.
Or – et voilà le principe de la comparaison qui nous amène d’un constat simple et évident, à une vérité spirituelle cachée mais toute aussi évidente : or, il en va de même de la justice et de l’amour de Dieu, de l’amour du Père. Aucun écart. Pas la moindre exclusion. Pas la moindre déviation.
Vous me direz qu’il y a aussi, juste avant, la comparaison des rayons du soleil qui se lèvent pour nous offrir la journée. Peut-être que je suis trop impressionné par la grandeur d’un ciel rayonnant. Alors que je suis fasciné, comme un gosse, par la simplicité de cette parabole de la pluie : regarder simplement les goutes tomber, sans dire un mot ; puis se dire que j’ai devant mes yeux l’image ou le symbole de la justice et de l’amour de Dieu pour tout être vivant.
J’ai devant mes yeux la perfection de la justice divine. La perfection de l’amour de Dieu qui « arrose » tout être qui vit. Nous sommes, nous les humains, tous, tous « mouillés » par cet amour divin. Dit en langage de piété : nous sommes tous les enfants de Dieu, les fils et les filles du même Père. Et c’est bien là la perfection dont il s’agit au verset 48.
Je crois d’ailleurs que cette parabole de la pluie est bien au coeur de l’histoire de la communauté francophone de Berlin. Car c’est bien parce que l’aumônerie protestante française installée à Berlin au lendemain de la seconde guerre mondiale estimait que tout homme, toute femme avait droit à une pastorale, quoi qu’il ait fait, que le pasteur Georges Casalis a accepté de s’installer à Berlin, notamment pour assurer la pastorale des sept détenus nazis condamnés à de longues peines, voire à vie, dans la prison de Spandau. Suite aux jugements du tribunal allié de Nuremberg.
Le christianisme est une religion de l’autre ; de l’autre quel qu’il soit. Qui nous lie de manière indéfectible à autrui. Encore faut-il préciser la qualité de cette relation qui nous lie à l’autre, quel qu’il soit. Et pour cette précision nécessaire, le passage des versets 38 à 48 de ce chapitre 5 est parfaitement clair.
Nous sommes placés dans une relation de filialité.
v.44 et 45 : « … Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ( les gouttes de pluie parallèles ). Ainsi vous deviendrez les fils (et les filles) de votre Père qui est dans les cieux ». Et le verset 48 reprend cette qualité de relation : « Soyez donc parfaits, tout comme votre Père qui est au ciel est parfait. » Qui dit « Père » dit enfant, dit fils et filles…
C’est donc bien là le seul terrain sur lequel nous pouvons nous placer lorsque nous adhérons à la vérité évangélique : nous sommes tous enfants du même Père. Chaque être humain, à nos yeux, est fils et fille du même Père. Même créateur ; même Sauveur en Jésus-Christ. Unis au même Esprit. Tous, sans exception. Homme et femme de grande charité et de profonde compassion ; ou criminel ou tortionnaire ou tueur d’enfants comme ça se passe aujourd’hui en Syrie, ou ailleurs…
Vous me direz que ça passe mal ! Vous me direz, avec raison, la raison humaine, que c’est intolérable, contre nature. Probablement. Et je crois bien effectivement que ce n’est pas naturel. Comme ce n’est pas naturel de renoncer à la vengeance. Comme ce n’est pas normal de tendre l’autre joue à celui ou celle qui me frappe ; de donner mon manteau à celui ou celle qui me vole ma chemise…
Ce n’est pas naturel. Mais c’est évangélique.
« Il fait pleuvoir aussi bien sur les justes que sur les injustes, sur ceux qui lui sont fidèles comme sur ceux qui ne le sont pas ».
Par cette parabole de la pluie, c’est en fait notre regard de l’autre qui est changé. Nous sommes appelés – ce n’est pas naturel, non ! – mais nous sommes appelés, quelles que soient les circonstances, à regarder l’autre comme autant aimé de Dieu que nous-même. L’autre : quel qu’il soit, et quoi qu’il fasse. Un autre soi-même.
Jamais rien ne justifiera la moindre exception, la plus petite exclusion. A l’image des gouttes de pluie qui ne dévient jamais, sous aucun prétexte, de leur trajectoire parallèle. Gouttes de pluie qui ne se permettent jamais de choisir, même à la toute dernière minute, sur qui elles tombent et sur qui elles ne tombent pas. L’amour de Dieu ne choisit pas.
Alors que notre humanité n’arrête pas de choisir, de distinguer, de séparer, d’exclure, de rejeter… nous sommes invités à considérer toute être qui vit comme autant fils et fille de Dieu que nous.
D’ailleurs, si nous braquons notre projecteur sur cette insupportable distinction des uns et des autres – tellement naturelle : il y a les bons et les méchants, les fidèles et les infidèles – nous tombons sur les versets 46 et 47 qui suivent immédiatement la parabole de la pluie.
« Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, pourquoi vous attendre à recevoir une récompense de Dieu ? Mais : les collecteurs d’impôts, détestés, hais, en font autant !
Si vous ne saluez que vos frères, faites-vous là quelque chose d’extraordinaire ? Mais les païens, ceux qui ne sont pas juifs, ceux qui ne sont pas chrétiens, en font autant : ils ne saluent, ils n’aiment que ceux qui les saluent et qui les aiment… ».
Aimer en choisissant, en triant… rien de plus naturel. Mais ce n’est pas ce que font les gouttes de pluie qui tombent. Ce n’est pas ce que font les rayons du soleil lorsqu’ils parcourent le ciel pour tomber sur la terre…
En fait, je crois que cette minuscule parabole de la pluie éduque regard : une éducation à la vraie humanité, à laquelle nous invite l’évangile. Je crois que cette image, que tout enfant comprend sans peine, pose bien un problème d’éducation. Nous ne pratiquons pas la politesse la plus élémentaire sans l’apprendre de nos parents, ni sans l’enseigner à notre tour à nos enfants. Or ce regard, notre regard qui met ses pas dans le regard du Père : il s’apprend tout autant. Nécessaire éducation, nécessaire formation. En particulier quand l’autre est détestable ou haïssable ; ou simplement désagréable. Quand la colère monte, quand la violence fait son chemin à l’intérieur de soi-même pour sortir tôt ou tard d’une manière ou d’une autre : rester, tenter de rester inébranlables dans l’image de la pluie qui tombe : cela, c’est le résultat d’une patiente éducation du coeur.
« Ainsi vous deviendrez les fils et les filles de votre Père qui est dans les cieux ».
Pasteur Georges Kobi, Berlin, juin 2012